On a grèvé ! On a gagné !
Amélia Barnes
Il est rare de trouver au cinéma un film qui touche au
fond des problèmes de notre société capitaliste, et il est plus rare encore de
voir à l'écran l’actualité de la lutte des classes. On a grèvé est une exception, une belle présentation
d’une lutte exemplaire menée dans le secteur de l’hôtellerie, qui emploie près
d'un million de personnes en France.
En mars 2012, une vingtaine de femmes de ménage employées en sous-traitance
à l’hôtel Campanile Première Classe (Groupe Louvre Hôtels) de Suresnes, décident
de ne plus accepter la surexploitation dont elles sont victimes. Subissant des
cadences infernales – le nettoyage et dressage d’en moyenne 30 chambres par
journée de travail - et rémunérées à la tâche pour un salaire mensuel de 1000
euros, elles se mettent en grève pour réclamer l’amélioration de leurs
conditions de travail déplorables.
Le film-documentaire, réalisé par Denis Gheerbrant, met en avant le courage
de ces femmes pour avoir fait grève tous les jours pendant un mois devant leur
lieu de travail, et la solidarité entre travailleuses, qui leur a permis de ne
pas baisser les bras jusqu’à ce que leurs revendications soient satisfaites.
Les spectateurs deviennent témoins du quotidien de la lutte - le froid, la
fatigue, mais aussi l’espoir et la convivialité qui permettent aux grévistes de
se lever tous les jours malgré l’incertitude de la durée de la grève. Ce dont
elles sont sûres, cependant, c’est qu’elles ne s’arrêteront pas avant d’obtenir
tout ce qu’elles réclament : rémunération à l’heure, hausse des salaires, 13ème
mois, et un deuxième jour de repos hebdomadaire.
La lutte sera victorieuse. Au bout de 28 jours, les revendications seront obtenues
et les travailleuses seront embauchées directement par Louvre-Hôtel. Elles feront
désormais 19 chambres par jour, pour un salaire de 1200 euros, et verront une
amélioration nette de leur santé. Leur action influencera plusieurs luttes dans
l'hôtellerie, dont la grève emblématique des femmes de chambre du prestigieux
Park-Hyatt Vendôme en septembre 2013, qui donneront lieu à l’obtention dans 5
autres hôtels de la fin de la sous-traitance. Mieux encore, en juin dernier, Louvre
Hôtels, deuxième groupe hôtelier après Accor en France et en Europe, décidait
d'interdire à ses sous-traitants la rémunération à la tâche, ce qui montre
l’efficacité de cette grève pour instaurer la peur chez le patronat, qui n’a cédé
que par crainte de l'effet de contagion.
En plus de témoigner d'une lutte exemplaire, le film permet surtout de
montrer ces femmes – leurs visages, leurs enfants, leurs histoires — sans
lesquelles le secteur de l’hôtellerie serait paralysé, et qui, dans le monde
idéal des capitalistes, devraient rester invisibles. Immigrées pour la plupart,
elles reviennent, devant la caméra, sur leur arrivée en France, leurs galères à
trouver un emploi et obtenir des papiers, la souffrance au travail, et le
mépris de certains clients. Certaines sont illettrées, beaucoup n'ont pas fait
d'études, elles sont d'autant plus fières de montrer leur détermination face à
des patrons qui comptaient sur l'épuisement rapide de la grève. Elles dénoncent
également la double peine en tant que femmes et travailleuses, pour beaucoup
mères de familles nombreuses, parfois mères célibataires, et qui ont bien des
difficultés à joindre les deux bouts.
A l’occasion de l’avant-première du film, une projection suivie d'un débat
avait lieu à l'espace Saint Michel, en présence de deux des anciennes grévistes.
Celles-ci ont appelé tou-te-s les exploité-e-s à ne plus accepter des salaires
indignes et à se battre jusqu’au bout pour l’obtention de leurs droits. Elles
ont affirmé que seules la résistance et la solidarité pouvaient permettre des
victoires, sont revenues sur le soutien qu'elles avaient apporté à la lutte de
l'hôtel Hyatt, et se sont montrées disposées à apporter leur solidarité à
toutes les luttes qui pouvaient avoir lieu, en particulier dans l'hôtellerie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire