Source : www.ccr4.org
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Flora Carpentier
Depuis plusieurs
années, on a vu apparaître dans le paysage périurbain d’étonnantes collines de
terre mêlée à toutes sortes de détritus, matériaux, jouets d’enfants…, des
tranchées creusées sur des centaines de mètres, ou encore des multitudes de
blocs de béton dispersés sous les bretelles d’autoroute… autant de procédés
visant à empêcher les occupations illégales sur des interstices urbains dont
personne n’aurait osé imaginer qu’ils puissent faire l’objet d’une quelconque
convoitise. Autant de traces qui peinent à camoufler l’extrême brutalité des
gouvernements successifs et de leurs relais à échelle locale.
Dan, habitant rrom du "village d'insertion" de Saint-Ouen, s'arrête devant une affiche représentant la Maire de Saint-Ouen. Son slogan "Rassemblons nous pour une ville humaine et solidaire", le laisse songeur. Photo Sophie Garcia, source : www.sophiegarcia.net
Installations, expulsions,
réoccupations… ou le « nomadisme forcé » des Rroms
Suite aux
violents démantèlements de campements de Rroms qui ont eu lieu tout l’été
notamment en Seine-Saint-Denis, conformément aux directives de Manuel Valls[1],
des centaines de familles, dont de nombreux enfants, se sont peu à peu repliées
sur la zone industrielle des Docks de Saint-Ouen, pour y reconstruire leurs
cabanes détruites à coups de pelleteuse. Mais la peur de l’expulsion est
omniprésente : « on ne sait pas
où aller, en Roumanie il n'y a pas de travail, il n'y a même pas de ferraille,
ici on peut ramasser la ferraille… », s’exclame une habitante. Et se
désolant « dans ma maison il fait
chaud, regardez... dehors il fait froid, et ici il y a plein d'enfants, des
bébés, où on va aller? ». Le campement compterait aujourd’hui environ
900 personnes, ce qui commence sérieusement à faire tache pour la ville qui
s’efforce depuis des mois de montrer un tout autre visage aux populations des
classes moyennes - voire aisées - qu’elle prétend attirer dans son vaste
éco-quartier en chantier, les Docks de Saint-Ouen. D’autant plus que les
campements Rroms, la mairie de Saint-Ouen en a déjà connu. En effet, les Docks
avaient déjà accueilli entre 2006 et 2008 ce que certains journaux qualifiaient
à l’époque du « plus grand bidonville de France », occupé par
quelques 600 Rroms originaires de Roumanie et de Bulgarie[2].
Déjà à l’époque, la maire PCF Jacqueline Rouillon[3]
avait vu ses projets immobiliers menacés et en avait appelé à l’Etat pour
intervenir. En plein été 2008, sous l’ère Sarkozy, le campement avait été
évacué par les forces de police et entièrement rasé, certaines familles
rapatriées dans leur pays d’origine, les autres se dispersant sur le
territoire.
L’exclusion en mode Front de Gauche
Expérimentée
en la matière, la maire de Saint-Ouen n’a donc pas tardé à réagir après les
premières (ré)occupations, saisissant le préfet le 16 juillet, et renouvelant
son appel par un communiqué en date du 28 août : « la Ville souhaite qu’une réaction la plus
rapide possible ait lieu afin que ce campement cesse et qu’il ne se transforme
pas en un vaste bidonville insalubre ». Mais lorsque l’exclusion vient
de « la gauche », il faut la jouer tout en finesse, aussi la mairie
s’est dit « attentive à la situation
d’urgence sociale et humaine des populations Rroms installées sur son
territoire », et a souhaité alerter des « dangers liés à l’errance d’enfants à proximité des voies de chemin de
fer ». Autant de démagogie quand on sait que la mairie n’a pas
manifesté la moindre inquiétude quant au sort des enfants Rroms renvoyés par la
force dans leur pays d’origine à la suite du démantèlement de camp des Docks en
2008.
Mais par
chance pour la mairie, une plainte a émané ces dernières semaines, qui
légitimerait l’évacuation du campement : celui-ci empièterait sur une voie
ferrée desservant une centrale de la Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain
(CPCU), qui alimente en chauffage une partie des hôpitaux, crèches et logements
de Paris. On apprend même que la chaufferie a été obligée ces derniers temps de
s’approvisionner en charbon par camions, ce qui représente un coût plus élevé
par rapport au transport ferroviaire. Étonnant que personne n’ait soulevé ce
"problème" plus tôt, d'autant plus que la mairie fait beaucoup
d'effort de communication sur ce camp depuis le mois de juillet. Peut-être
parce que ce "problème" est imaginaire ? C'est ce que suggère l’association
La Voix des Rroms, pour qui le
campement n'empiète nullement sur lesdites voies, et ne serait pas à l'origine
du transport par camions. Toujours est-il qu’alors que le froid est déjà bien
installé sur la capitale, de nombreux journaux ont véhiculé la crainte d’une
panne d’alimentation en chauffage si le campement n’était pas évacué. Il ne
manquerait plus que des patients meurent de froid dans les hôpitaux parisiens
et que l’on accuse encore une fois les Rroms !
Alors que le
tribunal de grande instance de Bobigny a ordonné le 2 octobre l’évacuation du
campement d’ici un délai de deux mois, mettant à la rue des centaines de
famille à la veille de l’hiver, Rouillon est allée encore plus loin, estimant
ce délai trop long et en appelant à Manuel Valls afin de s’assurer que le
démantèlement soit effectif, et cela avant le 12 décembre. Une politique
tellement de droite que la préfecture de Bobigny s’est vu obligée d’expliquer
qu'une évacuation en plein mois de décembre de quelques 900 personnes avec
leurs matelas et leurs enfants sous le bras ferait scandale et que « les camions de charbon, c'est moins emmerdant»[4].
Quand une mairie « de
gauche » s’attèle à l’ « insertion » des Rroms
Selon la
mairie de Saint-Ouen, « la question
de l'accueil des populations roms ne pourra être correctement traitée que dans
le cadre d'une politique globale d'insertion en faveur de cette population
marginalisée à l'échelle nationale et européenne ». On pourrait presque tomber d’accord sur une
telle affirmation, à moins de n’observer de plus près ce qu’entendent les
mairies Front de Gauche par « insertion ». Car à ce sujet, la mairie
de Saint-Ouen, a déjà donné. Trop, même. En effet, l’évacuation du bidonville
des Docks en 2008 avait été accompagnée d’une grande campagne de communication
sur l’insertion des familles Rroms, qui s’est matérialisée à l’époque par la
mise en place d’un « village d’insertion », dispositif expérimenté
par plusieurs communes voisines (Aubervilliers, Saint-Denis), réservé à une
vingtaine de familles triées sur le volet et logées dans des caravanes. Parqué
en pleine zone industrielle et encerclé de parois en béton, le
« village » gardienné 24h/24 et placé sous le feu de projecteurs
dignes d’un stade avait plus des allures d’un camp de prisonniers. D’ailleurs,
l’accès était formellement interdit à toute personne n’étant pas officiellement
bénéficiaire de l’initiative, y compris aux membres de la famille des habitants.
Le dispositif, cofinancé par l’Etat et la mairie, prévoyait des « mesures
d’accompagnement » vers l’ « intégration » assurées par l’Association
Logement Jeunes 93 (ALJ 93) : aide dans les démarches pour la
scolarisation des enfants, pour trouver un emploi ou un logement. Alors que les
discours véhiculant l’idée selon laquelle les Rroms ne cherchent pas à
s’intégrer sont devenus monnaie courante, l’expérience du village d’insertion
de Saint-Ouen démontre le contraire. Ici, les familles se sont battues pour obtenir
la scolarisation de leurs enfants, et leurs efforts ont porté leurs fruits
puisque la plupart des enfants du village ont pu être scolarisés. Un minimum
pour une mairie se revendiquant favorable à l’intégration des rroms. Mais côté
emploi, ça ne s’est pas passé de la même façon : malgré l’obtention de
promesses d’embauche, les habitants se sont vus refuser leurs demandes de titres
de séjour par la préfecture, ce qui les a contraints à
laisser filer des opportunités d'emplois.
Et on ne
peut pas dire que la mairie se soit battue pour faire pencher la balance :
alors que le gouvernement Hollande a cessé de financer le projet en mars 2013, celle-ci
s’est désengagée à son tour en juillet, se justifiant par le fait qu’elle ne
pouvait financer seule ce projet qui aurait coûté 2 millions d’euros par an. Ce
que la mairie ne dit pas, c’est que selon La
voix des Rroms, 75% du budget était alloué au gardiennage et à la
« sécurité » des riverains qui, à mesure que les proches banlieues se
« gentrifient », montrent de plus en plus d’hostilités envers ce type
d’initiatives. Il est évident que si la mairie FdG se montre de plus en plus
droitière en discours et en actes, c’est aussi pour apporter des réponses à ces
nouvelles populations en vue des municipales de 2014. Ce qui n’est pas dit non
plus, c’est que face à une mairie qui disait ne pouvoir assumer la charge
financière du village, les habitants ont demandé à régler eux-mêmes la facture
d’électricité, et que toutes leurs requêtes sont restées sans réponse[5].
De son côté, pour justifier la mort du « village », l’ALJ a été
jusqu’à affirmer que les habitants n’avaient «pas répondu aux critères de
volonté d’intégration»[6],
relayant le discours amplement répandu de responsabilisation et de
criminalisation de la communauté rrom. Ainsi, les familles ne se sont pas
seulement vu couper l’eau et l’électricité en plein été, on leur a en plus
ordonné de quitter les lieux sous menace d’expulsion par la force. La mairie
soi-disant sensible à la question, qui ne cesse de faire allusion dans ses
communiqués à la sécurité des familles rroms, au danger de l’insalubrité
notamment pour les enfants, etc., condamne une fois de plus les familles
« sélectionnées » cinq ans auparavant à une situation extrêmement
bancale et précaire, sans proposer d’alternative et en les désignant comme en
partie responsables de ce qui leur arrive. Cette méthode odieuse et violente
révèle bien qu’il ne s’agit aucunement de difficultés de financements mais que
la fin du « village d’insertion » s’inscrit dans la même logique scandaleuse
d’exclusion et de discrimination que l’appel au démantèlement du campement rrom
des Docks.
Contre la politique raciste du
gouvernement et de ses relais à échelle locale, pour une solidarité ouvrière et
populaire envers la population Rrom
A l’approche
des municipales, la maire de Saint-Ouen semble avoir trouvé, dans la droite
ligne de la politique du gouvernement PS, un nouveau bouc émissaire pour éviter
de parler des vrais problèmes de la ville (logement, emploi, etc.) et
canaliser l’opinion publique en criminalisant les Rroms, cette population sur
laquelle s’acharnent depuis des années les pouvoirs publics et un large
éventail de partis politiques.
Nous
dénonçons toute tentative d’expulsion qui laisserait des centaines de familles
dans la rue et exigeons un relogement dans des conditions dignes de tous les Rroms
vivant dans l’extrême-précarité, ainsi que la possibilité pour les familles d’obtenir
des titres de séjour, de scolariser leurs enfants, de disposer d’un accès à la
formation, à l’emploi et à la santé. Nous devons prendre exemple sur le
mouvement lycéen qui a fait preuve d’une grande solidarité à l’égard des jeunes
immigrés, dont Léonarda qui appartient à la communauté Rrom, et a montré tout
son rejet de la politique raciste du gouvernement.
Non aux
expulsions et aux démantèlements de camps Rroms! Halte aux
discriminations !
16/11/13
[1] A propos de la politique
anti-Rrom du gouvernement, lire « Retour en force du racisme anti-Rrom :
la bourgeoisie en campagne », P. Hodel, 28/09/13, www.ccr4.org/Retour-en-force-du-racisme-anti-Rrom-la-bourgeoisie-en-campagne
[2] O. Legros, "Les pouvoirs publics et les grands «
bidonvilles roms » au nord de Paris (Aubervilliers, Saint-Denis, Saint-Ouen)",
27/09/10, EspacesTemps.net
[3] Jacqueline Rouillon est maire de
Saint-Ouen depuis 1999. En 2009, elle quitte le PCF pour la Fédération pour une
Alternative Sociale et Ecologique (FASE), organisation du Front de Gauche.
[4] « A Saint-Ouen, les Roms, la centrale de
chauffage et la mairie », Le Monde, 12/11/13
[5] « Le
"village d'insertion" de Saint-Ouen expulsé? », La Voix
des Rroms, 19/11/13, rroms.blogspot.fr
[6] « Saint-Ouen
: les vendeurs d’insertion partis, le progrès peut commencer », La Voix des Rroms, 16/07/13
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