Laura Varlet
Ces dernières semaines et profitant du meurtre tragique de la petite Agnès, le gouvernement Sarkozy a relancé le débat sur une réforme de la législation sur les mineurs. Ainsi, dans le cadre du débat des présidentielles, l’UMP mène une campagne pour, soi-disant, « lutter contre la criminalité des mineurs ». Ce n’est pas nouveau pour ce parti. Sarkozy, lorsqu’il était encore Ministre de l’Intérieur en 2007, avait conçu la loi dite de prévention de la délinquance qui consistait notamment en un durcissement des punitions contre les mineurs.
Sous prétexte de « lutter contre le sentiment d’impunité » et de « s’adapter aux nouvelles formes de délinquance », l’ancien directeur général de la police nationale et actuel Ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, continue dans la même ligne que son prédécesseur.
Lors d’une convention près de Lyon le 29 novembre, l’UMP a dévoilé ses propositions par rapport à un certain nombre de questions, parmi lesquelles se trouvent l’immigration, l’éducation et la justice. Concrètement et en ce qui concerne la législation sur les mineurs, il s’agit de créer un code pénal spécifique pour les mineurs et de les sanctionner désormais pénalement à partir de l’âge de 12 ans.
Ce débat est fonctionnel pour la droite qui veut maintenir une discussion plus générale sur la question de « l’insécurité » et cherche surtout à criminaliser la jeunesse des quartiers populaires, qui serait soi-disant particulièrement « dangereuse ». Guéant et l’UMP profitent du sentiment d’insécurité, créé en grande partie par l’amplification et le traitement des faits divers par les médias, pour faire admettre un discours plus répressif. En visite à Saint-Ouen le 31 octobre, Guéant a affirmé vouloir « nettoyer » la ville du trafic des drogues. C’est ainsi que l’Etat trouverait les moyens - l’argent semble disponible pour ce type de décision – pour financer une nouvelle section de CRS, un nouveau commissariat et de nouveaux véhicules de police et de gendarmerie. Pourtant, une chose est claire : si la solution passait par plus d’effectifs de police dans les quartiers populaires, le problème serait réglé depuis longtemps car on en trouve par centaines dans la banlieue nord de Paris…
Dans une interview au Ministre de l’Intérieur parue dans Le Monde le 26 octobre dernier, celui-ci disait clairement non seulement qu’un des principaux rôles de la police est celui de la répression, mais aussi qu’il « faut responsabiliser les parents » [1] en leur faisant payer une amende (il parlait de 150 euros) s’ils laissent leurs enfants de moins de 13 ans seuls dans la rue la nuit après 23 heures.
Il est complètement scandaleux de voir comment ce gouvernement veut non seulement renforcer et augmenter le nombre d’effectifs de police dans les quartiers populaires, mais aussi comment ils essaient de mettre en place toutes sortes de mécanismes répressifs à l’égard de la jeunesse. Il est d’autant plus aberrant d’entendre qu’il est du « devoir des parents de veiller sur leurs enfants pour éviter l’engrenage de la délinquance » [2] que c’est l’Etat, les gouvernements et les patrons qui poussent les travailleurs et la jeunesse au chômage et à des conditions de logement et de vie de plus en plus précaires, notamment dans les quartiers populaires. On sait ainsi que le travail de nuit, le plus pénible, touche particulièrement les populations les plus précarisées, souvent sans-papiers. Il suffit pour cela de se pencher sur les chiffres disponibles [3]. Le 93, par exemple, est le département le plus jeune de France (14% de la population a entre 14 et 24 ans). Le taux de chômage dans ce département est de 11,6% pour le deuxième trimestre de 2011 ( alors qu’au niveau national il est de 9,1%). Cependant, le pourcentage de chômage parmi les jeunes atteint 43%. Il est évident que les raisons de la délinquance chez les jeunes doivent être trouvées plutôt dans le peu d’espoir qu’ils ont dans leur avenir, le peu de possibilité de trouver un travail pour nourrir leur famille et des conditions de vie et de logement qui se dégradent de plus en plus. Dans les mois et les années à venir, nous allons voir cette situation empirer considérablement au rythme de la crise économique mondiale. Les bourgeoisies et leurs gouvernements n’hésitent pas à appliquer des plans d’austérité et à attaquer le peu d’acquis que les travailleurs et la jeunesse ont aujourd’hui, ce qui entrainera encore plus d’inégalités sociales.
Le PS : une même politique derrière des formes plus douces
Ce dernier temps, nous avons entendu des déclarations croisées et un soi-disant débat sur la question de la « sécurité » entre le PS et l’UMP. Malgré le fait qu’ils se veulent opposés sur cette question, ils sont tout à fait d’accord sur le fond. Le PS, que nous entendons dans des débats acharnés à la télé, a également une politique répressive. Le seul choix du « porte-parole » sur cette question est une déclaration de principes : François Rebsamen, président du groupe PS au Sénat et maire de Dijon. Une chose est sûre : il s’y connaît en matière d’institutions répressives de l’Etat puisqu’en 1984 il était chef de cabinet de Pierre Joxe (Ministre de l’Intérieur sous le gouvernement Mitterrand). Cette intervention dans le domaine « sécuritaire » depuis plus de 25 ans lui a permis de tisser des liens parmi les hauts fonctionnaires de police. En 2010, il a exprimé des réserves lors d’une manifestation unitaire de plusieurs organisations de gauche et des droits de l’homme qui visait à dénoncer la politique sécuritaire du gouvernement. Non seulement il a déclaré qu’il ne fallait pas « se laisser embarquer » par les organisations qui convoquaient à la manifestation [4], mais il a dit clairement que « les maires ont raison de saisir la justice pour expulser les roms » [5] . Voilà le « responsable » en matière de sécurité choisi par François Hollande et le PS pour la campagne présidentielle.
Au-delà des déclarations passées, ce qu’il propose aujourd’hui ne le différencie pas en fin de compte de la politique répressive de l’UMP. Rebsamen a déclaré à plusieurs reprises que la priorité doit être accordé au renforcement du budget de la justice et à la création des « zones de sécurité prioritaires ». Ce sont des zones (il en faudrait une centaine selon lui) où on concentrerait les moyens de répression de l’Etat. Il n’hésite pas à dire, exactement comme l’UMP, qu’il faudrait plus d’effectifs de police et plus de moyens car, selon lui, aujourd’hui « l’unité républicaine est menacée par une frange de la jeunesse délinquante » [6] . Voilà comment le PS compte « régler » le problème de la violence et de la délinquance : par une répression accrue des plus pauvres et par une plus grande présence policière dans les quartiers populaires. Le tout en accentuant la politique de zonage qui est historiquement au coeur de la ségrégation.
Plus récemment, et même s’il parlait vaguement de la nécessité de « créer des dispositifs particuliers, des partenariats avec (…) les associations et l’éducation nationale » [7] , le député PS Daniel Vaillant était également de l’avis qu’il fallait recruter plus de policiers et gendarmes.
Le Front de Gauche ou l’utopie des réformes pour « résoudre le problème de la délinquance »
Il existe, entre autres, deux idées du Front de Gauche sur la « sécurité » auxquelles nous voudrions nous confronter.
D’un côté, ils affirment que la façon d’en finir avec la délinquance est de « restaurer les services publics d’Etat (…) et de résorber les inégalités socio-économiques » [8] Ils préconisent « une école publique de qualité ; une justice ayant les moyens de faire son travail de suivi et de réinsertion des mineurs délinquants ; une police de proximité remplissant ses missions (…) ; un plan de création massive d’emplois seul à même de démanteler les réseaux criminogènes de l’économie informelle » [9] . Or, cette conception qui voudrait résoudre le problème à partir de l’amélioration des services publics et l’accès à l’éducation et la santé est complètement utopique dans des périodes comme celle que nous traversons où les gouvernements appliquent plan d’ajustement sur plan d’ajustement et alors même que la crise va empirer. Nous voyons déjà comment le gouvernement s’attaque à l’éducation, multipliant les suppressions de postes. Il est évident qu’il n’y aura pas d’amélioration de l’éducation avec moins de moyens, bien au contraire !
De l’autre côté, dans un article publié le 25 novembre sur leur site internet, le regroupement de Mélenchon se plaint de la suppression de postes de police et de gendarmes. Tout en expliquant que seuls l’Etat et sa police sont les garants de la « violence légitime », ils crient haut et fort qu’ils veulent plus d’effectifs et qu’il faut recruter. Tout en essayant de critiquer « sur la gauche » le programme de l’UMP, ils se plongent dans un univers complètement utopique d’une « humanisation » des forces de l’ordre. Affirmant ainsi qu’il faudrait établir une formation des policiers et des gendarmes « fondée sur le respect des personnes » [10] pour arriver à construire « une police républicaine de proximité proche des citoyens et consciente des problèmes que traverse la cité » [11] . L’objectif de cette idée est de cacher le caractère de classe des forces de répression, en négation de l’expérience historique la plus ancienne qu’ont pu faire les travailleurs depuis la naissance de l’Etat bourgeois en tant que tel. C’est une illusion réformiste de croire que les forces de répression peuvent être au service de la population, car leur seul vrai objectif est de protéger les classes dominantes et leur propriété privée. Au jour le jour, des milliers de CRS sont déployés pour réprimer les grèves et manifestations, et imposer le silence dans les quartiers. Depuis plusieurs mois, des investissements importants sont en cours dans la gendarmerie et la police afin de préparer ces chiens de garde des oppresseurs aux résistances à venir. Et l’on se souvient tous de l’impressionnant dispositif répressif développé par la Grande Bretagne cet été pour mater sa jeunesse pauvre révoltée. Dans des périodes de crise économique en effet quand les travailleurs et la jeunesse commencent à se rebeller face aux attaques, les capitalistes défendent leur propriété à tout prix par crainte de tout perdre. Si pour cela ils doivent réprimer et tuer, ils le feront. En Grèce la répression des manifestations des travailleurs et de la jeunesse, et plus encore en Egypte, se solde désormais régulièrement par des morts. Comme écrivait Lénine au début du siècle juste avant la révolution d’octobre 1917, « Comme l’Etat est né du besoin de réfréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit de ces classes, il est, dans la règle, l’Etat de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée. Non seulement l’Etat antique et l’Etat féodal furent les organes de l’exploitation des esclaves et des serfs, mais l’Etat représentatif moderne est l’instrument de l’exploitation du travail salarié par le Capital. (…) L’armée permanente et la police sont les principaux instruments de la force du pouvoir d’Etat » [12] . Ce que Lénine veut dire par là est que la police et l’armée permanente sont, en dernière instance et avant tout, les garants de la domination des capitalistes et leur Etat. Il est donc parfaitement utopique, encore une fois, de vouloir juste « humaniser » les forces de répression dans le cadre de ce système capitaliste qui ne propose que misère et exploitation. Ceci entraîne, surtout dans des périodes de crise, des conflits et des affrontements entre les classes qui possèdent tout et les classes qui ne possèdent rien mais qui produisent toutes les richesses. Cette augmentation des conflits et affrontements entre les classes va dévoiler encore plus clairement le caractère de gardien de la propriété privée des forces de répression, c’est-à-dire leur caractère de classe, car ce sont elles qui vont réprimer, tuer et persécuter les militants, les travailleurs et la jeunesse qui manifestent et s’organisent contre les exploiteurs et leurs gouvernements. D’ailleurs, toutes les expériences révolutionnaires qui n’ont pas été jusqu’à l’expropriation des capitalistes et la destruction de l’Etat bourgeois ont été déviées et canalisées dans ces mêmes institutions bourgeoises, entraînant dans la plupart des cas des défaites énormes pour les travailleurs et la jeunesse, comme en témoignent la révolution espagnole des années 30, celle du Chili au début des années 1970, et tant d’autres tout au long du XXe siècle.
Renforcer les institutions répressives est un pari stratégique pour la bourgeoisie
C’est dans ce contexte plus général et à plus long terme qu’il faut analyser le discours offensif du gouvernement Sarkozy. La campagne pour criminaliser la jeunesse et les travailleurs et pour légitimer la militarisation et assurer ainsi une présence des forces répressives dans les quartiers populaires est, dans une grande mesure, préventif. Nous voyons déjà aujourd’hui comment les capitalistes et leurs gouvernements, qu’ils soient de « gauche » comme en Grèce ou dans l’Etat espagnol jusqu’à il y a quelques semaines ou de droite comme en Italie, veulent nous faire payer leur crise avec les plans d’ajustement et de casse de l’emploi et des services publics. Cette situation est déjà en train de provoquer des résistances et une augmentation du niveau de la lutte de classes en Europe et ailleurs. Il est donc indispensable pour les classes dominantes d’avoir les forces répressives en ordre de bataille pour affronter et réprimer les travailleurs et les jeunes qui s’organisent dans les lieux de travail et dans les quartiers contre les attaques et les mesures d’austérité qu’ils essayent de nous imposer. Pour la bourgeoisie, il s’agit donc d’un pari stratégique et aujourd’hui encore préventif face aux probables montées de la lutte de classes.
Quel est le programme des révolutionnaires ?
Face à tous ces propos pour la plupart réactionnaires et dans le meilleur des cas utopiques, les révolutionnaires proposent la seule issue réaliste et de fond à toutes ces problématiques. Il est indispensable que la jeunesse des quartiers populaires s’organise aux côtés des travailleurs et des travailleuses. Il faut construire la mobilisation commune et se battre tous ensemble pour imposer un plan d’œuvres publiques à partir d’une taxation des plus riches. Ce plan d’œuvres publiques, qui doit être contrôlé par les travailleurs et la population, est la seule façon d’apporter une véritable solution au chômage, aux besoins de logement, de santé et d’éducation. Il est évident que les capitalistes ne vont pas se laisser faire et feront tout pour éviter que ces problèmes soient réglés en touchant à leurs fortunes (qui d’ailleurs est le fruit de l’exploitation quotidienne des travailleurs !). Ce n’est donc qu’à partir de la mobilisation et la lutte pour un programme qui remette en question le pouvoir des plus riches et donc le système actuel que nous allons pouvoir financer ce plan d’œuvres publiques qui donnera du travail à tout le monde sans réductions de salaire. Cela ne pourra se faire sans la nationalisation sous contrôle des travailleurs de grandes entreprises, à commencer par celles du CAC 40, et des banques. C’est ainsi que nous pourrons éradiquer la pauvreté et le chômage, qui sont d’ailleurs les bases matérielles de la délinquance. Nous ne pouvons rien attendre des capitalistes qui organisent la production et leurs investissement en fonction des profits et non pas des besoins des classes populaires. Ce sont les travailleurs eux-mêmes qui peuvent proposer une véritable alternative et des vraies solutions aux problèmes que subissent les jeunes et les familles des quartiers populaires.
11-12-2011.
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NOTES:
[2] Idem
[3] De l’article “El euro fue una trampa para pobres”, par Miguel Mora. El Pais. 29/11/2011.
[4] Voir Le Parisien.
[5] Idem.
[6] Voir Le monde.
[7] Voir Le monde.
[8] .Voir.
[9] Idem.
[10] .Voir.
[11] Idem.
[12] L’Etat et la révolution. Lénine. 1917.
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