Grève contre la précarité à l’université
Timur Chevket
Le « collectif des bas salaires » de
l’université Vincennes/Saint-Denis, regroupant en grande majorité des femmes,
entre dans son second mois de grève. La mobilisation connait une phase décisive
alors que le rapport de force entre la présidence et le collectif des bas
salaires semble ne pas pouvoir rester stable. Les négociations voient les deux
parties camper sur leurs positions. Pour Danielle Tartakowsky il serait
impossible d’aller au-delà des 70 euros brut d’augmentation de la prime
mensuelle, les grévistes réclament, elles, près du double : 98 euros net.
Le quotidien de plus de 600 titulaires et contractuels mal payés de toutes
catégories de la fonction publique est en jeu. De leur victoire dépend la
perspective d’un retour aux affaires de ceux qui font exister
l’université : son personnel, ses enseignants et ses étudiants.
Une mobilisation qui dévoile la politique de
gestion financière de l’université
Les revendications des grévistes se trouvent
confrontées à la machine à ruiner les facultés impulsée dans la dernière
période par la LRU et son prolongement dans la loi Fioraso. Il n’est
apparemment nul besoin d’avoir une maîtrise en économie pour comprendre comment
détourner le budget de l’Etat pour l’enseignement supérieur vers les nécessités
de l’austérité au service des capitalistes. Avec un indice des salaires de la
fonction publique gelé, l’amélioration du niveau de vie du personnel de
l’université dépend de la répartition d’une dotation de l’Etat de plus en plus
faible et incertaine. Danielle Tartakowsky, présidente de Paris
8,« spécialiste » des mouvements sociaux et qui jouait les opposantes
à ce système il y a 6 ans,y trouve aujourd’hui son compte pour justifier sa
politique de gestion des deniers publics. A l’heure actuelle, la répartition de
l’argent de la fac est complètement opaque. C’est avec ce voile de fumée que la
présidence justifie l’impossibilité d’accéder aux requêtes de son personnel.
Pourtant, la nouvelle façade scintillante de l’université ainsi que l’écran
géant qui a apparu nous laisse penser qu’il reste du budget pour travailler
l’image de l’université…La réponse adéquate qu’a commencé à développer le
collectif des bas salaires est d’exiger la transparence. C’est le premier
rempart de la micro-gestion de l’austérité à faire tomber.
Etudiant.e.s-travailleur.se.s : une
alliance qui peut faire basculer le rapport des forces !
La question du budget et de la transparence
intéresse aussi les étudiant.e.s, victimes de la détérioration par sabotage
financier de leurs conditions d’études. C’est là le potentiel d’une telle
revendication : la jonction d’une partie des étudiants dans la lutte.
L’alliance entre les étudiant.e.s et les travailleur.se.s de la fac, dont la
force stratégique est de pouvoir bloquer le fonctionnement de la fac, est
particulièrement importante dans nos luttes.
A Paris 8, des modifications des règles de
scolarité se préparent : la suppression de certaines sessions de
rattrapage, l’impossibilité de s’inscrire pour la troisième fois dans la même
année, entre autres. Cela revient tout simplement à accroître la sélection
sociale aux portes des universités, en aggravant les difficultés des
étudiant-e-s les plus précaires, les étudiant-e-s salarié-e-s, les étudiant-e-s
sans-papiers.
La remise en cause de la soi-disant autonomie
des universités est quant à elle l’étape supérieure à franchir pour la grève.
C’est l’ouverture de ce front qui doit permettre un soutien plus large de la
communauté universitaire à la mobilisation. Inverser la logique de destruction
de l’enseignement public supérieur, c’est ouvrir la perspective d’une
renaissance du mouvement des étudiant.e.s et des travailleur.se.s de
l’université capable d’arracher au gouvernement du fric pour garantir les
conditions de travail et l’enseignement universitaire. Cette lutte ne peut se
mener dans l’isolement du 93, mais à l’échelle nationale. C’est pourquoi les
grévistes ont commencé à rencontrer les camarades de grève des facs de Paris
Sud/Orsay et de Lyon 2.
Un combat de femmes
Impossible d’ignorer le fait que c’est une
majorité de femmes qui porte avec détermination cette grève. Si tous les
travailleur.se.s sont concernés par les salaires trop bas, la précarité au
travail, etc, ces problèmes sont trop souvent accentués pour les femmes. Ecarts
de salaires à même niveau de formation ou d’ancienneté, accumulation de jobs à
temps partiels, pour compiler avec le travail domestique, l’éducation des
enfants, l’entretien du foyer… Sans parler d’une domination parfois ouvertement
affichée et renforcée par les divisions hiérarchiques. Entre exploitation et
oppression, être femme travailleuse est loin de la partie de rigolade. Alors
relever la tête ? Si leur lutte contre la précarité est exemplaire, la
force qu’elles ont de ne plus se laisser faire l’est encore plus, et ce malgré
toutes les entraves qu’on leur impose.
Carton plein pour la soirée de soutien, le
travail de désenclavement de la grève
Jeudi 19 février, la fête de soutien au
personnel en grève a vu passer plus de 200 personnes. Des étudiants de Paris 8,
mais aussi des militants de différentes luttes extérieures à la fac, dans le
but de faire converger les bagarres "locales". La tribune a accueilli
un prof vacataire de Lyon 2, en grève pour la régularisation des contrats et le
payement de plus d’un semestre d’arriéré de paye. D’autres secteurs connus pour
leurs récentes grèves de travailleuses étaient représentés, à l’image des
femmes de ménage du palace Hyatt Monceau et des fonctionnaires de la mairie de
Saint Denis. Les salariés de la Poste du 15ème et du 92, ainsi que des cheminots
ont répondu présents, pour parler de leurs résistances à la situation
catastrophique pour les travailleur.se.s de ces ex-entreprises publiques. Le
soutien a même eu un caractère internationaliste avec l’intervention
particulièrement applaudie d’un camarade grec de l’université polytechnique
d’Athènes et une vidéo de soutien du personnel de l’université de São Paulo,
récemment en grève au Brésil.
La soirée a su remplir ses objectifs
immédiats : remplir la caisse de grève, remonter le moral à la grève,
tisser des liens pour ouvrir les nécessaires perspectives de solidarité et de
convergence des luttes de la classe des travailleur.se.s. Le rapport de force
en est impacté à Paris 8. Le possible développement de la convergence est lui
porteur d’un potentiel encore plus important. Une première échéance se profile
pour le 5 mars, rassemblant Paris 8, Lyon 2, Villetaneuse et Paris Sud/Orsay.
Renforcer le collectif des bas salaires,
l’assemblée générale, la lutte
Pour faire basculer le rapport de force en
faveur des grévistes, de nouveaux coups de boutoirs doivent être portés dans
les murs de la fac. Décloisonner, c’est la clef de voûte d’une prise de poids
du mouvement. C’est sur toutes les portes des secrétariats, avec les femmes de
ménages, au restaurant universitaire, à la formation permanente, à la
comptabilité, jusque chez les profs et les étudiants que la grève peut et doit
s’afficher. La bagarre a dépassé le cadre du personnel en catégorie C. Tous les
bas salaires sont concernés par la légitimité des revendications. Leur
application se négocie pour l’ensemble des travailleur.se.s de la faculté. Pour
la majorité des personnels en catégorie B et A, la paye est moindre que celle
d’un agent de maîtrise de la restauration rapide.
Le collectif des bas salaires se stabilise en
tant qu’outil de la lutte. Il peut pérenniser une critique active et efficace
des choix de D. Tartakowsky. La présidente, qui soigne sa réputation
d’intellectuelle de gauche, n’a la tête qu’à réduire au silence toute
contestation de sa politique. Son arme n’est pas du dernier cri, c’est celle
des exploiteurs : la retenue sur salaires des jours de grèves. Du jamais
vu dans la fac de mai 68. Une pression que n’avait pas connue la présidente
quand elle participait à la ronde des obstinés en 2009. Voilà une
"spécialiste" des mouvements sociaux qui offre à la communauté
universitaire le pitoyable spectacle d’un retournement de veste intéressé.
Toujours la première à vouloir contredire les chiffres des grévistes concernant
leurs salaires, elle n’ose pas publier le sien, qui serait de l’ordre de
dizaines de milliers d’euros par an.
Face à l’austérité imposée dans les facs et
ailleurs, face aux inégalités toujours plus fortes entre les salaires des
patrons et les nôtres, c’est la grève qui a raison ! Car ce n’est pas à
nous de payer les pots cassés des fraudes d’une minorité de la population
toujours plus riche. Ce n’est pas à nous de payer la crise, ni ici, ni en
Grèce, ni ailleurs ! Les colères de chacun-e, même très localement peuvent
redonner confiance aux collègues et les inciter à nous joindre dans nos luttes,
pour se battre ensemble contre ceux qui nous exploitent et nous
oppriment !
23/02/15
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